Question orale du 13/01/2015 sur « l’augmentation de la maltraitance infantile en Wallonie et à Bruxelles » adressée à M. Rachid Madrane, ministre de l’Aide à la Jeunesse, des Maisons de justice et de la Promotion de Bruxelles
Question – Vous avez eu connaissance, monsieur le ministre, des chiffres dévoilés en novembre dernier concernant la maltraitance infantile dans notre Fédération. Celle-ci est en augmentation de près de douze pour cent et concerne quelque huit mille cas par an – c’est colossal – dont soixante-trois pour cent sont dus à la négligence. Contrairement à ce que vous avez affirmé voici peu, à savoir que cette problématique touchait particulièrement les milieux les plus fragiles sur le plan social, on se rend compte que les familles plus aisées sont également concernées par cette augmentation de la maltraitance. En fait, l’évolution de la société, l’organisation du travail et l’écla- tement des familles sont des paramètres qui entraînent cette augmentation. Premièrement, pourrions-nous avoir connais- sance de ce rapport et en débattre au sein de cette commission ? Deuxièmement, vous avez indiqué qu’à la suite de la réforme de l’État, l’aide à la jeunesse devait être réformée en Fédération Wallonie-Bruxelles. Où en est-on dans la réforme du décret de 1991 en particulier ? D’autres outils législatifs ne devraient-ils pas être mis en place ? Troisièmement, vous avez parlé d’aller à la rencontre des acteurs du monde de la jeunesse. Or ils ne sont pas les seuls à être compétents dans le domaine. L’école est un axe important sur lequel nous pouvons travailler. Qu’en est-il à ce niveau-là ? Pouvons-nous imaginer une rencontre ou une action commune avec votre collègue de l’Ensei- gnement afin de déceler les cas le plus rapidement possible ? Enfin, les faits de maltraitance sont rarement dénoncés par les enfants qui les subissent. On parle d’un taux de cinq pour cent, grâce aux moyens mis à leur disposition, comme des lignes téléphoniques. La détection de ces problèmes est essentielle. Que fait-on en cette matière ? Des projets existent-ils ? J’insiste sur l’importance de l’école, vu que la maltraitance par négligence y est souvent décelée lorsque des enfants commencent à décrocher, ne font plus leurs devoirs, ne suivent plus les cours, ne reçoivent plus d’alimentation correcte ou d’argent de poche. De quels outils dispose-t-on? D’autres sont-ils envisagés pour détecter le plus rapidement possible ces cas de maltraitance ?
Réponse – Contrairement à ce qui a été repris dans la presse, les chiffres présentés ne proviennent pas d’un rapport mais ils ont été extraits par mon administration de la base de données Imaj. Je voudrais vous donner quelques explications sur cette base de données qui permet d’obtenir des informations plus précises sur ce secteur. Le projet Imaj est l’acronyme pour « Interventions et mesures d’aide aux jeunes » et couvre la conception et le développement d’une application informatique intégrée prenant en charge l’ensemble du processus d’aide aux jeunes. Le projet poursuit un objectif de simplification administrative – mon cheval de bataille – grâce à un encodage unique dans une application intégrée, partagée et sécurisée, visant l’amélioration des conditions de travail de tous les utilisateurs par le biais d’une ergonomie moderne de travail. Les outils d’entrepôt de données ou Data Warehouses seront associés à cette application pour permettre l’extraction de données à des fins statis- tiques et de pilotage. Ces chiffres concernent les enfants ayant fait l’objet d’une prise en charge par l’Aide à la jeunesse d’au moins un jour sur l’année. Ainsi, pas moins de 42 269 jeunes en difficulté ou en danger ont été pris en charge par l’Aide à la jeunesse en 2013. Lorsque le mandant prend en charge un jeune, il a la possibilité d’encoder dans la base de données le ou les motifs pour lesquels il intervient, c’est-à-dire les types de problèmes rencontrés par les jeunes. Pour 2013, nous disposons de ces informations précises pour 56 pour cent des jeunes, soit 23 650 personnes. Nous constatons que les chiffres récoltés restent stables depuis 2010, ce qui autorise à les considérer comme des tendances. Parmi les 23 650 jeunes pour lesquels nous disposons d’une information sur les motifs de prise en charge, 7 343 connaissaient une situation de maltraitance ou de suspicion de maltraitance, au sens de la Convention internationale des droits de l’enfant, comme la négligence, la maltraitance physique, psychologique ou sexuelle. Ce chiffre représente 31 pour cent des jeunes pour lesquels nous disposons du motif d’intervention. En 2012, ils étaient 6 565 et l’augmentation de douze pour cent que vous évoquez et que nous ob- servons d’une année à l’autre est uniquement due à une amélioration du recueil des données et au passage de l’application Sigmajed à l’application Imaj en avril 2013. Cette dernière est toujours en phase de développement dans tous les services d’aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse de la Fédération. En général, nous observons de manière constante au fil de ces dernières années que près d’un tiers des jeunes pris en charge par les SAJ et SPJ le sont pour des raisons de maltraitance. Il est important de souligner aussi que la maltraitance ne provient pas toujours d’une volonté délibérée de faire du mal à son enfant. Souvent, les familles sont maltraitantes malgré elles, parce que leurs conditions de vie ou les difficultés qu’elles rencontrent les amènent à exposer leurs enfants à des situations non de maltraitance avérée mais de négligences graves ou à des situations dans les- quelles ils risquent d’être confrontés à de la maltraitance ou à une situation de danger. À titre d’exemple, on considère aujourd’hui qu’un enfant témoin de violences conjugales est soumis à une forme de maltraitance psychologique. Effectivement, la maltraitance n’est pas l’apanage des seules familles défavorisées ; des familles plus aisées sont également concernées par cette problématique. Il est donc important de se garder de toute stigmatisation des familles. Pour ce qui est de la publication de ces données, elles seront intégrées au prochain rapport de l’Aide à la jeunesse. Par ailleurs, oui, je continue à affirmer, comme lors de mon allocution du 3 novembre dernier – et non pas du 31 octobre –, devant le Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse, que l’Aide à la jeunesse doit avoir l’ambition de contribuer à l’émancipation des plus vulnérables. Par contre, la compétence de l’accueil des enfants après l’école ne me revient pas. L’accueil du temps libre – ATL – relève des compétences de Mme Milquet et je ne vais pas me permettre ici de répondre à sa place. Comme je le dis d’ailleurs souvent, l’Aide à la jeunesse ne peut pas tout faire. Je voudrais rappeler ici le caractère normalement complémentaire et supplétif de son intervention, tel que prévu par le décret de 1991. Dans ce cadre, je désire effectivement organiser une conférence interministérielle sur l’aide à la jeunesse. Je souhaite qu’elle se tienne avant la fin du premier trimestre 2015. Pourquoi cette volonté? Précisément parce que de nombreuses problématiques que l’Aide à la jeunesse prend en charge aujourd’hui, et pas uniquement la maltraitance, ne relèvent pas d’elle seule. De plus, mes budgets ne sont pas assez importants pour tout prendre en charge. Mais rassurez-vous, madame, monsieur, de nombreuses choses sont déjà entreprises pour prendre en charge les enfants victimes de maltraitance. Je commencerai par la prise en charge quotidienne. Si nous élargissons la notion de maltraitance au-delà des cas de maltraitance avérée et que nous prenons en compte les cas de négligence, de situations où l’enfant risque d’être confronté à de la maltraitance ou à une situation de danger, tous les services de l’Aide à la jeunesse, des associations en milieu ouvert aux services d’accueil et d’aide et éducative – je ne vais pas tous les citer ici – ont bien entendu un rôle à jouer auprès des jeunes et des familles en difficulté. La prise en charge des cas de maltraitance avérée se fait via les équipes SOS-Enfants qui sont agréées et subventionnées par l’ONE mais aussi par les centres d’aide aux enfants victimes de maltraitance qui dépendent, quant à eux, de l’Aide à la jeunesse.
Ces derniers organisent, en permanence et si nécessaire en urgence, un accueil collectif de quinze jeunes nécessitant une aide particulière et spécialisée eu égard aux faits de maltraitance dont ils sont victimes. J’en ai visité plusieurs et le personnel y fait un travail incroyable, en gardant toujours à l’esprit cette idée de la réinsertion familiale ou de la vie en logement autonome et supervisé. Ils organisent parfois l’orientation vers un autre service. Par ailleurs, il existe aussi un protocole d’intervention entre le secteur médico-psycho-social et le secteur judiciaire qui date d’avril 2007 ainsi qu’un protocole de collaboration entre les secteurs de l’Aide à la jeunesse et de l’enfance de la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Fondation Child Focus en matière de lutte contre la maltraitance du 17 juin 2014. Enfin, s’il est essentiel de venir en aide aux enfants victimes de maltraitance, il faut aussi prendre les mesures évitant que celle-ci ne survienne. Cette prévention doit être l’affaire de tous – parents, professionnels – et elle est par essence intersectorielle. Il existe aussi la cellule Yapaka qui assure le suivi des décisions prises par les plateformes et fait un travail de terrain remarquable. La direction de l’Aide à la jeunesse est particulièrement attentive à toutes ces questions. Nous avons mis en place une série de dispositifs, une formation a été organisée par le centre Chapelle-aux-Champs qui est chargé d’accompagner 650 jeunes du secteur et de fixer des li- mites cliniques communes pour mieux détecter les moindres indices. Bref, la Communauté française fait le maximum pour apporter des réponses à ce problème dramatique qu’est la maltraitance infantile. Les chiffres qui ont été cités sont extraits d’une base de données propre à l’Aide à la jeunesse. Je vous fournis le texte complet afin que vous puis- siez en prendre connaissance.
Réplique – Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les éléments que vous venez de nous communiquer. Je me permets d’insister sur la tenue de cette conférence interministérielle. Il est normal que les ministres élaborent entre eux des solutions, mais il est essentiel que nous puissions en discuter ici et suivre l’état d’avancement des travaux. Ce n’est pas une question de groupe politique. Il y a des points sur lesquels il faut pouvoir établir un lien. Nous savons que la manière dont ces enfants vivent ces années pénibles influencera leur vie future. L’éducation est essentielle. J’insiste donc pour que cette conférence soit organisée le plus rapidement possible. Sans lien avec l’enseignement, votre action perdrait de son intérêt. L’enseignement permet de toucher un public beaucoup plus large. Une coordination avec votre collègue compétente est donc indispensable. Vous avez parlé de Yakapa. Il y a pas mal d’associations qui aident les enfants maltraités. Mais elles n’ont souvent pas assez de moyens, de capacités pour agir de la manière la plus efficace. C’est précisément là que l’école peut venir en aide aux enfants maltraités et les orienter vers des acteurs compétents pour poser un diagnostic. La conférence interministérielle sera l’occasion de revenir sur les impacts de la réforme de l’État. Il est essentiel que notre commission soit associée à ce travail et que nous restions le plus unis possible dans ce dossier.